Le Nez by Nicolas Gogol

Le Nez by Nicolas Gogol

Auteur:Nicolas Gogol [Gogol, Nicolas]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature
Éditeur: Editions Gallimard
Publié: 2015-11-15T00:00:00+00:00


III

Il se passe en ce bas monde des choses d’où la vraisemblance est bien souvent bannie. Un beau jour, ce fameux nez, qui se promenait affublé en conseiller d’État et faisait tant parler de lui, se retrouva soudain, comme si rien ne s’était passé, à son ancienne place, c’est-à-dire entre les deux joues du major Kovaliov. L’événement eut lieu le 7 avril. À son réveil, le major jeta par hasard un coup d’œil à son miroir et s’aperçut du retour de son nez. Il y porta la main. C’était bien lui.

« Ah bah ! » s’écria Kovaliov qui, dans sa joie, aurait dansé, pieds nus, un trépak endiablé au travers de sa chambre si la venue d’Ivan ne l’en avait empêché. Il se fit aussitôt apporter de l’eau pour ses ablutions. En se débarbouillant, il se mira de nouveau : le nez était bien là ! Il se mira encore tout en s’essuyant : le nez restait en place !

« Dis-moi, Ivan, il me semble que j’ai un bouton sur le nez ? demanda-t-il en songeant avec anxiété : “Et si Ivan allait me dire : – Un bouton ? mais non, monsieur, puisque vous n’avez pas de nez !” »

Mais Ivan répondit :

« Pas le moindre bouton, monsieur, votre nez est absolument net. »

« Ça va, ça va, saperlotte ! » se dit le major en faisant claquer ses doigts.

À ce moment apparut au seuil de la chambre le barbier Ivan Yakovlévitch, craintif comme un chat qui vient d’être fouetté pour avoir volé du lard.

« D’abord et avant tout, as-tu les mains propres ? lui cria de loin le major Kovaliov.

— Oui, monsieur.

— Tu mens !

— Parole d’honneur, monsieur !

— Prends garde ! »

Kovaliov s’assit, Ivan Yakovlévitch lui passa une serviette au cou et, en une minute, lui convertit à coups de blaireau le menton, puis une partie de la joue, en une crème pareille à celle que l’on sert les jours de fête dans le monde marchand.

« Ah ! très bien ! » se dit-il en regardant le nez, après quoi il inclina la tête de l’autre côté et le contempla de biais. « Le voilà revenu, le brigand ! » reprit-il in petto. Quand il se fut absorbé un temps suffisant dans la contemplation du nez, il leva deux doigts pour le saisir par le bout avec toutes les précautions d’usage. Telle était sa méthode.

« Attention, nom d’une pipe ! » lui cria Kovaliov.

Ivan Yakovlévitch laissa retomber son bras, intimidé comme il ne l’avait encore jamais été. Enfin il se mit à racler prudemment le menton du major. Bien qu’il éprouvât une grande difficulté à raser ses pratiques sans les tenir par leur organe olfactif, il parvint, en appuyant son pouce calleux sur la joue et la gencive de Kovaliov, à mener non sans peine sa tâche à bien.

Kovaliov s’habilla à la hâte, sauta dans un fiacre et se fit conduire au café.

« Garçon, un chocolat ! » cria-t-il dès l’entrée. Un regard dans une glace lui permit de constater aussitôt la présence de son nez.



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